18 mars 2016

Les valeurs de l’art

Programme " Autour de l'art et des images : pour une autre interdisciplinarité "

Vendredi 18 mars à la MSHS-Sud Est
Saint-Jean d’Angély 3, Amphi 31 (rdc)

RésumésProgramme

10h15 Rosa Maria Dessì et Nicolas Naudinot (Université Nice Sophia Antipolis, CEPAM-UMR 7264) : Présentation

10h30 Elena Man-Estier (Conservatrice du patrimoine, sous-direction de l’archéologie, Ministère de la Culture et de la Communication et UMR 5199 PACEA) :
La valeur de l’art préhistorique : donner la parole à des expressions muettes

11h30 Étienne Anheim (Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, IECI) :
Entre valeur matérielle et valeur spirituelle : la Madone Rucellai de Duccio (1285)

Discussion et pause

14h Charlotte Guichard (Institut d’histoire moderne et contemporaine, ENS, Paris, UMR 8066) : Auctorialité, autographie et présence : la signature dans la peinture des Lumières

Résumés des communications

Étienne Anheim (Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, IECI) :
Entre valeur matérielle et valeur spirituelle : la Madone Rucellai de Duccio (1285)

La Madone Rucellai de Duccio est un tableau célèbre à plusieurs titres. C’est l’œuvre de la plus grande dimension connue pour le XIIIe siècle, et aussi l’une des plus anciennes pour lesquelles on ait conservé le contrat de commande. Mais c’est également une œuvre clé dans le dispositif narratif de Vasari, qui raconte la procession qui a accompagné son installation dans le Duomo de Sienne, où elle venait prendre place dans une tradition civique et votive d’alliance entre la ville et la figure de la Vierge. Enfin, l’histoire complexe de son attribution, d’abord à Cimabue puis à Duccio à la suite d’une enquête historique de plus d’un siècle, a ajouté à l’importance de l’œuvre dans l’histoire de la peinture italienne au tournant du Moyen Âge et de la Renaissance, et achève de lui donner sa valeur toute singulière à nos yeux. À partir de cette étude de cas qui est aussi une étude d’œuvre, mais dans un sens très particulier, c’est cette valeur, dont les racines sont à la fois matérielles, plongeant dans l’artisanat urbain et le notariat, et spirituelles, liées au culte de la Vierge et à la nouvelle place des images dans la pittura nuova, qu’on tentera de comprendre, en mesurant la distance avec des notions traditionnellement considérées à l’origine de la valorisation de la peinture, comme l’art, le marché ou l’esthétique.

Charlotte Guichard (Institut d’histoire moderne et contemporaine, ENS, Paris, UMR 8066) : Auctorialité, autographie et présence : la signature dans la peinture des Lumières

En dépit de quelques études de cas, singulières voire uniques, la signature dans le tableau reste un détail mal connu dans son histoire, souvent rapportée à l’histoire du statut de l’artiste, du développement du marché de l’art et des marques d’auctorialité. Ma communication s’articulera autour d’une réflexion sur la main de l’artiste et la matérialité de l’objet tableau, afin de mettre en évidence un phénomène nouveau au XVIIIe siècle, à savoir l’effet de présence de l’artiste à travers sa signature. Cet effet de présence repose d’abord sur une fascination nouvelle pour le geste de l’artiste. Contre les anciennes logiques de l’atelier (collectives et collaboratives), la signature autographe instaure un autre régime d’authenticité qui exalte la présence de l’artiste à sa toile et qui met en scène dans le tableau la performance de son geste. En outre, du point de vue plus large de l’histoire culturelle, cette présence autographique de l’artiste à sa toile produit un effet de témoignage. C’est une figure nouvelle qui émerge dans la peinture des Lumières, celle de l’artiste témoin de son temps, engagé personnellement dans son présent et contemporain des événements qu’il dépeint.

Elena Man-Estier (Conservatrice du patrimoine, Sous-direction de l’archéologie, Ministère de la Culture et de la Communication et UMR 5199 PACEA) :
La valeur de l’art préhistorique : donner la parole à des expressions muettes

Ce que l’on appelle communément « l’art préhistorique » est constitué d’un ensemble de productions artistiques aux techniques, supports et thèmes extrêmement variés. Les plus connus sont sans doute les grottes ornées, comme Lascaux ou Chauvet. Mais une multitude d’objets, armes, outils ou vestiges sans rôle utilitaire, ont également été décorés, parfois richement. Réalisées pendant près de 30 millénaires, ces expressions artistiques s’interrompent brutalement au début de l’Holocène, il y a environ 10000 ans, quand les sociétés humaines évoluent sous la pression des climats et des environnements changeants. Passées à travers le temps de manière lacunaire, elles nous poussent aujourd’hui à nous interroger sur leurs valeurs artistiques, esthétiques, symboliques mais aussi marchandes. Découverts il y a à peine 150 ans, les premiers vestiges symboliques de la préhistoire ont été âprement débattus en tant que productions artistiques. Plus tard, il a fallu trouver de nouveaux moyens de les étudier. Les analyses des historiens de l’art ont servi de base aux réflexions mais les préhistoriens s’en sont vite affranchis pour inventer leurs propres règles. Toutefois, la propre valeur symbolique de cet art continue d’être sujette à caution. Si sa beauté et sa rareté nous poussent à lui imaginer un rôle essentiel au sein des sociétés – magique, religieux, mythologique – on peut aussi le considérer comme un simple accompagnement du quotidien, un décor presque anecdotique dans lequel les véritables actions symboliques n’ont, elles, pas laissé de traces. Enfin, parce que ces productions sont rares et fragiles, nous devons aussi nous interroger sur leur valeur marchande. Le caractère exceptionnel des grottes et des objets ornés a parfois fait tourner les têtes… Il a aujourd’hui conduit la communauté scientifique à changer sa façon de les étudier, en privilégiant par exemple les analyses non destructives et les fac-similés. Si le sens ou la fonction de cet art ne pourront sans doute jamais être atteints, on sait désormais comment le faire parler, en le respectant et en respectant avant tout les artistes qui l’ont réalisé, il y a des milliers d’années. Ainsi, nous avons appris à redonner la parole à des expressions muettes mais surtout à les écouter, comme on écouterait l’écho lointain et délicat d’une société disparue.

18 mars 2016
CEPAM

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