Camille Demouchy

Doctorant, UniCA

« Μή μοι τοὺς κύκλους τάραττε ! »

Pole DOMUS (fabrique des documents),
Groupe CREHE (création et exégèse).

Doctorat en Langues et Littératures anciennes, Université Côte d’Azur

Direction : Arnaud Zucker
Date du début de la thèse : 1e septembre 2023
Titre du projet de thèse : Edition commentée du début de la Grande Astronomie de Ptolémée.

Mots clés : Astronomie antique. Langue grecque. Μαθηματική σύνταξις. Almageste. Ecole d’Alexandrie. Egypte romaine. Cosmographie. Manuscrits byzantins. Tradition arabe. Apparat critique. Système ptoléméen. Géométrie euclidienne. Manuel didactique. Instruments. Pappus. Théon d’Alexandrie. Hypatie. Reconstitution. Papyrologie. Apparat critique. Εἰσαγωγή. Παράφρασις. Ἐξήγησις. Ὑπομνήματα. Πρόχειροι Κανόνες. Γωνίαι. Σφαιρικά.

Projet de thèse

Dans la mouvance d’un regain d’intérêt pour les savoir-faire antiques, la thèse que je prépare est une réponse à la nécessité de rendre à nouveau accessible un instrument dont la connaissance s’est perdue : l’Almageste de Ptolémée. Rédigé en grec atticisant sur treize rouleaux de papyrus au IIe siècle de notre ère, cet écrit monumental est probablement le support d’un cours d’astronomie que l’auteur prodiguait alors à l’école d’Alexandrie. Présenté de manière pédagogique, le raisonnement amène dans chaque livre à la production de deux tableaux de valeur. Ces tables pratiques sont des outils d’analyse des données célestes : elles contiennent les valeurs numériques d’un certain phénomène, par exemple la déclinaison du Soleil en fonction de la date dans l’année (I.15). L’ouvrage est ainsi une invitation à systématiser, par une méthode à la fois graphique et arithmétique, les mouvements des astres tels que nous les voyons se déplacer dans le ciel d’heure en heure et de nuit en nuit.

Outre la division canonique en treize livres de longueurs comparables, il me semble que la composition progresse suivant les quatre parties suivantes :

  • Livres I-II : Cosmographie générale et conséquences de l’inclinaison du zodiaque.
  • Livres III-VI : Mouvements des deux luminaires (Soleil et Lune).
  • Livres VII-VIII : Positions des fixes dans les constellations.
  • Livres IX à XIII : Mouvements des cinq planètes.

C’est la première de ces parties qui m’intéresse. Plus précisément, l’introduction cosmographique (I.1-8) établit les connaissances fondamentales auxquelles la fantaisie de Copernic nous a interdit de croire aujourd’hui : sphéricité du Ciel, position centrale et fixe de la Terre… Il en découle une pratique particulièrement approfondie de la géométrie sphérique. Ainsi, l’astronomie de Ptolémée consiste pour l’essentiel à mesurer des arcs sur la sphère, en dessinant des cercles dans le sable. Aujourd’hui, on écrirait cela sous formes d’équation utilisant la fonction sinus et ses dérivés : mais la méthode géométrique utilisée par les Grecs est antérieure à ces inventions. Alors, au lieu des valeurs du sinus, Ptolémée établit une table donnant la longueur de chaque corde d’arc en fonction de l’angle qu’elle sous-tend (I.9-11).

Le reste de la première partie de l’Almageste découle tout entier de la valeur d’un seul arc : l’inclinaison du cercle du zodiaque, 23°51. Cette mesure est acquise à l’aide de cadrans spécifiques soigneusement décrits, en mesurant la hauteur méridienne du Soleil lors des solstices (I.12). Une fois acquis l’outil d’analyse géométrique dit « configuration de Ménélas » (I.13), c’est alors que l’on peut commencer à entrer dans le vif du sujet. De fait, il s’agit d’un dialogue entre le cercle équateur, dont les pôles sont traversés par l’axe du monde, et celui que dessine le Soleil en un an lorsqu’il se déplace à travers les figures du zodiaque. On obtient ainsi d’une part la « latitude » du Soleil selon la date de l’année, appelée déclinaison (I.14-15) ; et d’autre part sa « longitude », appelée temps de lever du zodiaque en sphère droite (I.16).

Au second livre, un troisième cercle entre dans la danse et vient donner plus de sel aux raisonnements : il s’agit de l’horizon. Celui-ci est déterminé par la latitude, ou « climat » : ainsi, le livre II est une sorte d’introduction à la Géographie, puisqu’il décrit les caractéristiques célestes de chaque habitat.

Les témoins les plus anciens que nous ayons de ce texte sont des manuscrits de parchemin byzantins des IXe, Xe et XIe siècle, pour l’essentiel conservés non pas en Grèce mais à Paris et à Rome. Ils ont fait l’objet d’un sérieux travail de collation de la part du philologue danois J. L. Heiberg dans les années 1900. Aujourd’hui, quelques témoins plus tardifs qu’il n’avait pas repérés sont mentionnés par le site Pinakes de l’IRHT. Une partie de mon travail consiste donc d’une part à comprendre la démarche de recherche de Heiberg, et d’autre part à mesurer l’intérêt, sans doute mineur, de ces nouveaux manuscrits en vue d’éventuelles corrections à apporter à l’édition critique. De fait, pour d’éventuelles améliorations significatives de ce texte déjà bien établi, il faut étudier les traditions latine et arabe, qui sont l’objet d’étude du projet Ptolemaeus arabus et latinus à Munich. En effet, le manuscrit Vaticanus latinus 2056 contient une traduction sicilienne du XIe siècle ; mais surtout un travail d’établissement d’une traduction arabe datée du IXe siècle, celle d’Ishâq revue par Thâbit, est en cours. Ces traductions peuvent en effet être issues de manuscrits grecs disparus.

Mais l’apport principal sera du domaine du commentaire, par la mise en parallèle du propos de ce texte avec d’autres écrits similaires. Dans quel contexte scientifique Ptolémée a-t-il écrit ce traité ? Qui a inventé les formules canoniques du système dit ptoléméen, que nous retrouvons à la fois avant lui sous le calame de Théon de Smyrne, et bien après lui dans le Βίβλιον Ἀστρονομικόν conservé à la bibliothèque nationale de Grèce ? Quels ont été la réception de ce texte, son usage pratique, et l’apport des paraphrases éditoriales de Pappus, de Théon d’Alexandrie et d’Hypatie ? La mise en rapport de ce texte avec les fragments de papyri de l’époque, ainsi que la mise à contribution de nouveaux instruments optiques pour éclairer les palimpsestes, peuvent apporter de nouveaux éléments à la compréhension de ce cours d’astronomie ancienne. Le traitement de mesures instrumentales qui est à l’œuvre dans ce traité est enfin à mettre en relation avec la postérité des Tables Faciles, et avec leurs usages pratiques en matière d’astrologie, d’agronomie et de navigation.

Et, bien que ces pratiques ne soient plus reconnues de nos jour en milieu académique, il me semble nécessaire de s’approprier le texte par des méthodes actives et immersives. Cela passe par la reconstitution matérielle d’instruments, par la production de paraphrases et de résumés en grec suivant le modèle de savants byzantins comme Théodore Métochite et Nicolas Cabasilas, et par le dialogue au sein de groupes de lecture. Ces méthodes sont critiquées et semblent passées de mode parce qu’on s’y contente humblement de réorganiser un savoir déjà existant, et que cela va à l’encontre de l’idéal d’innovation personnelle. Ce sont pourtant des exercices de mémoire et d’appropriation, qui ont à mes yeux plus de valeur et de consistance que les discussions menées dans une langue étrangère à ce dont il est question.

 Parcours

  • Contrat doctoral à l’ED SHAL, université Côte d’Azur (2023-2026).
  • Chargé de séminaire à l’ENS Lyon : lecture et paraphrase grecque de l’Iphigénie en Tauride d’Euripide (2023-…).
  • Stage informel au département lettres anciennes de l’université de Thessalonique.
  • Chargé de cours d’été à Rome (institut Polis de Jérusalem).
  • Cursus de l’ENS Lyon (2018-2023) :
    • Master Mondes Anciens – langue, littérature et civilisations de l’antiquité,
    • Agrégation de lettres dites « classiques » (ie français, latin, grec).
  • Séjour d’un an à l’institut Polis de Jérusalem, certificat d’aptitude à enseigner le grec ancien comme une langue vivante (2021-2022).
  • Chargé de cours à l’association Guillaume Budé de Lyon (2022-2023).
  • Moniteur de voile légère.
  • Initiative CHELs Polydore : projet de théâtre en grec ancien sur le thème des visions nocturnes (2019-2020).
  • Licence de lettres anciennes (L1 et L2 Sorbonne, L3 Nanterre) par équivalence des années de classe préparatoire au lycée Louis le Grand (2015-2018).
  • Licence de physique à l’université Cergy-Pontoise (2015-2018).

Mémoires universitaires

Traduction commentée du livre III de l’Almageste de Ptolémée : mouvements du Soleil. (Direction : Christophe Cusset).

 


Extrait de la production scientifique (HAL)

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