Hommage à Véronique Gallien (1963-2021)

Le CEPAM et l’équipe DYNAPP, très touchés par la disparition prématurée de Véronique le 10 avril 2021, souhaitent lui rendre hommage à travers les mots de ses collègues les plus proches. Basée à l’INRAP Grand-Ouest, Véronique était toutefois très investie dans les recherches et la vie de l’équipe dont elle était un élément moteur. Outre ses qualités scientifiques, nous retiendrons d’elle ses qualités humaines au premier rang desquelles sa gentillesse, sa bienveillance et son énergie positive.

La première rencontre de Véronique avec le CRA du CNRS de Valbonne, qui deviendra le Cepam en 2000, remonte à la fin des années 1980. Fraichement diplômée de l’Ecole du Louvre (en 1987), elle participe aux fouilles menées par l’Unité d'Archéologie de la ville de Saint-Denis dans deux cimetières du haut Moyen Âge proches de l’abbaye. Très vite elle est confrontée au problème bien connu des archéologues du funéraire, surtout à cette époque : à qui confier l’étude de tous ces squelettes mis au jour quotidiennement ? C’est le hasard d’une visite sur son chantier d’un étudiant de Nice, Philippe Le Hors, qui préparait alors un DEA dans le cadre du laboratoire d’anthropologie du CRA, qui lui fait découvrir l’existence de ce laboratoire. Elle prend alors la décision, qui engagera toute sa carrière scientifique, de venir s’y former à l’anthropologie et de se charger elle-même de l’étude des squelettes. Elle donnera à cette occasion toute la mesure de sa détermination inflexible et de sa puissance de travail. En 1990, après une formation accélérée (mais intensive), elle s’inscrit à l’Université Paris IV, sous la direction de Noël Duval et moi-même, pour préparer une thèse ayant comme sujet l’étude archéologique et anthropologique  des deux populations de Saint-Denis qu’elle a fouillées. Trois ans plus tard, en 1992, elle soutient brillamment sa thèse alors que la naissance de son premier enfant est imminente.
Très vite, un lien très étroit se tisse entre nous. Aux échanges professionnels se greffent des rencontres amicales. Je garderai le souvenir des longues heures de discussions sur l’intérêt de telle ou telle particularité des squelettes mais aussi du plaisir de se retrouver en famille pour une promenade en bord de mer, un festin d’huitres au réveillon ou une pêche à la crevette.
Véronique commence sa carrière d’archéologue et d’anthropologue à l'Afan puis elle intègre l'Inrap. Elle choisit quand elle le peut des chantiers où le funéraire prédomine et où elle peut mener de front la fouille, le plus souvent comme responsable d’opération, et l’étude des squelettes. Chaque fois que possible, elle associe à sa démarche son compagnon, Jean-Yves Langlois. Pour ses études anthropologiques, elle choisit le Cepam comme laboratoire de rattachement. Sa place grandit au sein de l’équipe et elle participe à toutes les manifestations organisées par le laboratoire d’anthropologie, stages, rencontres, séminaires et, bien sûr, publications.

Les nombreuses études de sites sur lesquels elle a travaillé l’ont amenée à approfondir toujours plus sa connaissance des sociétés du passé. Pour mieux percevoir leur état sanitaire,  elle passe un certificat d'Etudes Universitaires en paléopathologie, délivré par la Faculté de médecine de Marseille, et elle établit une étroite collaboration avec le Dr Yves Darton, paléopathologiste de l’équipe Dynapp du Cepam. Leurs recherches ont donné lieu à de nombreuses publications. De même, dès les premières recherches menées par Isabelle Séguy et moi-même en paléodémographie, Véronique  collabore en testant les nouvelles méthodes mises au point sur des séries qu’elle étudie. Convaincue par cette nouvelle approche, elle contribue à la diffusion de ces méthodes, notamment auprès de membres de l’Inrap.

Enfin, sous mon amicale pression, elle accepte, à partir de 2013,  de consacrer ses congés aux fouilles de la mission archéologique franco-albanaise sur la vallée du Drin (Albanie du nord), dirigée par Etleva Nallbani, sur les sites de Lezha et Sarda. Elle y prend très vite une place primordiale, par son professionnalisme et par son charisme, avec les archéologues mais aussi avec les ouvriers du chantier avec lesquels elle teste ses rudiments d’albanais. Il est certain qu’avec sa disparition, la vie de la mission ne sera plus la même.

Luc Buchet


 

© Source vidéo : INRAP


 

Véronique Gallien nous a quittés le 10 avril dernier.

Archéologue et anthropologue de l’Inrap, elle était aussi chercheure associée au Cepam et membre-clé de l’équipe d’archéo-anthropologues, historiens, dentistes, paléopathologistes et paléodémographes regroupés au sein de l’équipe Dynapp, pour traiter des questions d’anthropologie biologique, de paléopathologie et de paléodémographie.
Discrète aux yeux des collègues du Cepam, elle était pourtant là chaque année, plusieurs fois par an. Le signe de sa présence, au second étage, c’était les sachets de thés aux saveurs diverses qui apparaissaient sur l’étagère de la salle 259. Véronique, toujours désespérée par le thé en sachet d’Isabelle, venait colorer et rehausser les saveurs de notre quotidien. Les pauses s’animaient, riches en échanges à l’image de son tempérament énergique et toujours optimiste.
En fait, Véronique était là, régulièrement, depuis plus de trois décennies ! Elle a été de l’aventure du CRA (Centre de recherches archéologiques du CNRS), que les plus jeunes d’entre vous ne peuvent pas connaître ; de ce laboratoire d’anthropologie biologique, où Luc Buchet a accueilli et formé toute une génération d’anthropologues ; de toutes les Journées Anthropologiques de Valbonne, bouillonnants moments de rencontres et d’échanges scientifiques. Pour certains d’entre nous, ce sont trente-cinq ans d’amitié et de collaboration qui remontent à la mémoire.
Philippe l’a rencontrée en 1986, au sein de l’unité archéologique de Saint-Denis, alors que tous étaient des archéologues, des étudiants, des stagiaires, des bohèmes à l’avenir incertain. Comme sur un air de chansonnette, elle décapait un sondage dans la ville, il passait sur le trottoir, ils ont discuté de fouille, de technique, de squelettes, et Yann -son compagnon- est arrivé…
Les archéologues de Saint-Denis étaient confrontés aux nombreuses découvertes de squelettes qu’ils ne savaient pas traiter. Nicole Meyer-Rodrigues qui dirigeait le 8 rue Franciade, n’osait pas contacter Luc Buchet, impressionnée par la réputation scientifique d’un chercheur du Centre de Recherches Archéologiques du CNRS. Sur l’entremise de Philippe, Nicole et Luc sont entrés en contact pour définir une collaboration entre Saint-Denis et le CRA ; Yann et Véro ont été envoyés en formation à Valbonne avec la suite que l’on connaît, tant sur le plan scientifique que sur le plan personnel. L’amitié très forte avec Luc et Mariem d’abord, puis avec l’ensemble des chercheurs de notre équipe au cours de ces 35 ans, ont déterminé la spécialisation de Véronique en anthropo-archéologie. Tel un bon génie, Philippe fut celui qui infléchit la carrière de Véronique et, même s’il n’a que le mérite du hasard, il en est très heureux.
Collègues et amis, relations indissociables qui se nourrissent l’une l’autre. Qu’auraient été nos recherches si elles n’avaient pas été favorisées à ce point par notre amitié ?  D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours connu Véronique dans cette double relation. Depuis que j’ai commencé à pratiquer le monde de l’archéologie funéraire et de l’anthropologie biologique ; était-ce dans le cercle naissant du GAAFIF ou du GDR animé par Claude Masset, ou peut-être à l’occasion des Journées de Valbonne ? Qu’importe, car de ce moment nos échanges amicaux et nos collaborations scientifiques n’ont jamais cessé, gagnant en richesse et en diversité au fur et à mesure que les spécialités de chacune s’affirmaient.

Parler des travaux de Véronique, c’est ouvrir grand la porte de l’Histoire, de la grande histoire, celle de la reine Arégonde ou des religieux et religieuses de haute noblesse, mais aussi de la plus petite, de celle des gens ordinaires, tels les mineurs du territoire du Mans ou les populations rurales de Chéméré et de Riom ; voire l’histoire des invisibles et des oubliés, tels ces enfants-martyrs de Poitiers. Car Véronique savait faire parler les pierres tout autant que les morts ; avec patience, rigueur et précision, elle replaçait dans un scénario inattaquable les éléments stratigraphiques, les informations archéologiques et les observations anthropologiques pour reconstituer le puzzle de ces vies disparues.

Elle a toujours été une chercheure scrupuleuse dans le relevé des données, mais surtout exigeante pour déceler les réalités ontologiques, et leurs significations contextuelles. Ses compétences intellectuelles, bien que très développées, ne sont pourtant pas l’essentiel pour l’évoquer. Yves, et tous ceux et celles qu’elle a coudoyés, peuvent témoigner de l’originalité et de la force de son pouvoir à communiquer positivement avec autrui. Elle savait associer l’indulgence et l’exigence, sous condition de réciprocité, tout en dosant ces attitudes selon les individus.
En proposant à ses collègues de l’Inrap, accoutumées aux études bioanthropologiques dans des délais contraints et avec des moyens limités, de devenir chercheures-associées au Cepam, Véronique leur offrait tant un espace de recherches et d’échanges scientifiques que la liberté d’un horizon élargi. Cécile, Isabelle et Ivy ont ainsi rejoint l’équipe niçoise, donnant à Véronique l’opportunité de relancer une dynamique d'étude autour de l'anthropologie et de transmettre ses savoirs, ses méthodes, sa façon de travailler en archéologie préventive et au sein de la recherche. Puis, au-delà de l’archéologie et de l’anthropologie métropolitaine, Véronique et une partie de l’équipe ont rejoint l’aventure albanaise en intégrant, sur proposition de Luc, l'équipe d'Etleva Nallbani. Véronique trouvant, dans cet ailleurs pas si lointain, d’autres jeunes collègues auxquels transmettre, toujours avec passion et bienveillance, ses acquis professionnels.
De même aux jeunes étudiants et doctorants, qu’elle a toujours accepté de former et de guider, partageant ses connaissances avec beaucoup d’empathie et corrigeant leurs erreurs avec tact et délicatesse. Jusqu’au bout, elle aura transmis, aidé, épaulé, encouragé, rassuré, aplani au possible les difficultés qui se présentaient. Son dynamisme, son exigence dans le travail, son attention aux autres et une attitude toujours emplie de bienveillance ont souvent fait plus que force ni que rage …

Au-delà de nos rencontres et des moments de partage, des fouilles qu’elle a menées et de ses nombreuses publications, des savoirs transmis ou encore à transmettre, il faut aussi parler de la personnalité de Véronique, une personnalité lumineuse et généreuse. Lumineuse, car elle faisait toujours miroiter l’aspect positif des collègues ou des évènements ; généreuse, car elle était toujours prête à partager des expériences, des aspects techniques pour les études anthropologiques. Et la façon qu’avait Véronique d’appréhender les thématiques en anthropologie, et plus largement en archéologie, était pleine de finesse et d’humour. Sa voix dans un coin de nos têtes continue à nous interroger sur les points forts d’une étude ou sur une hypothèse à privilégier… Merci d’être toujours présente.
Son dynamisme, sa force intérieure, son sourire bienveillant ne laissaient rien deviner des craintes et des incertitudes qui pouvaient l’habiter. De cette générosité-là, nous sommes tous et toutes infiniment reconnaissants. De son énergie positive également, « Le tout est de passer le meilleur moment possible », recommandait-elle à Luana à la veille de soutenir sa thèse.

Le tout est de toujours passer le meilleur moment possible.
L’amitié qui nous liait à Véronique était si profonde, que c’est parmi ses collègues et amis de Nice qu’elle est venue se réfugier fin 2020. Nous sommes heureux de cela, fiers des relations de travail et d’amitié que nous avons tissées tout au long de ces années, et profondément peinés par sa disparition.

Puisse ce portrait coloré la faire vivre longtemps dans nos cœurs.

Ses collègues et amis des laboratoires d'archéozoologie, d’anthropologie biologique et de paléodémographie du CEPAM

Véronique Gallien