Mission Ras al Khaimah 2018 : étude de l’oasis de Shimal

Grâce au soutien du Ras al Khaimah Department of Museums and Antiquities, la mission de terrain dans l’oasis de Shimal s’est déroulée du 11 au 30 novembre 2018. L’objectif était de mener une étude pluridisciplinaire sur l’évolution du paysage à Shimal à travers le temps, et notamment depuis le 3ème millénaire avant notre ère. L’étude de cette oasis, de par sa taille (environ 1300ha) et sa position sur le cône alluvial d’un des plus grands wadis de la région, constituait un défi important pour notre équipe. Comme pour les autres oasis étudiées dans le cadre de l’ANR et du travail de thèse de Sophie Costa, une approche géomorphologique (Sophie Costa), géomatique (Gourguen Davtian), géoarchéologique (Sophie Costa, Hatem Djerbi, Claude Rouvier) et ethnographique (Julien Charbonnier) a été menée. Le tamisage, le tri et la préparation des échantillons prélevés lors de la campagne ont également été réalisés sur place (Alain Carré).

L’étude géomorphologique (Sophie Costa)

L’objectif des travaux géomorphologiques est de replacer l’oasis de Shimal dans son environnement naturel, qui l’alimente en eau et en sols. Pour cette campagne de terrain 2018, deux objectifs principaux ont été définis :

  • Recueillir des données (points GPS, éléments structurants des paysages et description des formations superficielles) pour créer une carte géomorphologique de la région de Shimal et des bassins versants qui alimentent l’oasis, sous SIG.
  • Recueillir des échantillons de référence dans tous les paysages naturels qui entourent la zone de Shimal afin de comprendre et de retracer l’origine des sols de l’oasis.

Plusieurs types de paysages ont donc été cartographiés, décrits et échantillonnés : les vallées des Wadis Bih et Haqil qui incisent les montagnes, les cônes alluviaux qui en débouchent, les plages et les dunes entourant Shimal. Des échantillons de sédiments de surface et de roches ont été prélevés afin de constituer un référentiel des formations de surface.

1: plaine alluviale dans le Wadi Bih (crédit : S. Costa)

1: plaine alluviale dans le Wadi Bih (crédit : S. Costa)

L’étude géomatique (Gourguen Davtian)

2: carte des jardins et du réseau hydrographique de l'oasis de Shimal (crédit : G. Davtian)

2: carte des jardins et du réseau hydrographique de l’oasis de Shimal (crédit : G. Davtian)

Le travail géomatique s’est articulé autour de plusieurs échelles spatiales, et a été réalisé grâce à la création d’un SIG sous ArcGis. La première échelle, la plus fine, est celle des sondages géoarchéologiques. Un travail de photogrammétrie a été réalisé à la fois pour construire un modèle 3D de leur volume et de leur géométrie, mais aussi pour extraire les ortho-photographies des coupes. Les positions en X, Y et Z des sondages ont également été enregistrées à l’aide d’un GPS différentiel.

La deuxième échelle est celle de l’oasis où un travail cartographique a été mené. La création et l’étude d’un socle d’images géoréférencées, combinées à des prospections à l’aide du GPS différentiel ont permis de cartographier les jardins, les canaux et les puits de Shimal. Une typologie a également été créée afin de caractériser ces éléments au mieux, et pouvoir entreprendre des analyses plus poussées sur leur spatialisation.

Enfin, à l’échelle du bassin versant, un MNT de haute résolution a été créé sur le terrain à l’aide d’un GPS différentiel. Couplé aux données micro-régionales (SRTM, LandSAT, Quickbird, etc.), le réseau hydrographique a pu être reconstruit et comparé aux canaux déjà cartographiés.

L’étude géoarchéologique (Sophie Costa, Hatem Djerbi, Claude Rouvier)

3: carte de localisation des 6 sondages géoarchéologiques réalisées lors de la campagne 2018 (crédit : S. Costa)

3: carte de localisation des 6 sondages géoarchéologiques réalisées lors de la campagne 2018 (crédit : S. Costa)

Les jardins de l’oasis de Shimal sont situés sur la partie terminale des cônes alluviaux des Wadi Bih et Haqil. À la fin du XXe siècle, ils couvraient une superficie d’environ 1 300 ha et étaient particulièrement concentrés dans la partie nord-est des cônes. Aujourd’hui, toute la superficie des cônes est de plus en plus urbanisée et la plupart des jardins ont été abandonnés ou parfois complètement détruits par l’urbanisation.

Six sondages ont été creusés à l’aide d’une pelle mécanique dans d’anciens jardins. L’objectif était d’étudier les différences de dynamique le long de cette couronne, mais également de mettre au jour le maximum de profondeur de sol. En effet, les dépôts sont plus dilatés sur la partie aval des cônes que sur leur partie amont.

Ces sondages ont mis au jour une cyclicité entre deux processus majeurs dans la formation des séquences stratigraphiques dans les oasis de Ras al Khaimah : les dépôts très érosifs des cônes alluviaux d’une part, et les sols fins, largement créés par l’agriculture d’autre part. Les sondages situés au nord-est du cône ont révélé les séquences de sols les mieux préservées, même si les plus profonds, parfois à plusieurs mètres de profondeur, ont souvent été observés sous forme de lambeaux. D’anciennes structures hydrauliques ont été identifiées dans ces sondages et apportent des informations précieuses sur l’évolution des modalités d’irrigation à travers le temps. La corrélation entre les différentes phases alluviales et agricoles identifiées nous permet déjà de mettre en lumière une histoire très dynamique de l’occupation de l’oasis de Shimal et les datations C14 et OSL apporteront un cadre chronologique précis.

4 : ouverture d'un sondage à la pelle mécanique

4 : ouverture d’un sondage à la pelle mécanique

Traitement des sédiments et tri des macro-restes (Alain Carré)

5 : tri à la binoculaire des macro-restes pour les études environnementales (crédit : A. Carré)

5 : tri à la binoculaire des macro-restes pour les études environnementales (crédit : A. Carré)

Afin de réaliser des études paléoenvironnementales sur les différentes séquences de sols étudiées, des seaux de 10L de sédiments ont été prélevés, flottés, et tamisés à 2mm et 500 μm. Après séchage, quatre types de macro-restes ont été isolés à l’aide d’une binoculaire :

  • les restes végétaux : charbons et graines carbonisées, afin de comprendre les changements de la végétation, les pratiques agricoles et de dater les niveaux par radiocarbone (14C).
  • les restes fauniques : coquilles et os, qui fournissent des informations sur les changements environnementaux et climatiques.

Ces macro-restes seront identifiés et analysés par des spécialistes: anthracologues/carpologues (L. Herveux), malacologues (H. Djerbi) et zooarchéologues.

L’enquête ethnographique (Julien Charbonnier)

6: prise d'eau dans une parcelle abandonnée de Shimal (crédit : J. Charbonnier)

6: prise d’eau dans une parcelle abandonnée de Shimal (crédit : J. Charbonnier)

Une étude ethnoarchéologique sur la gestion traditionnelle des sols et des eaux a été menée afin de :

  • documenter l’histoire récente de l’oasis de Shimal, notamment en relation avec la modernisation et l’urbanisation rapide des Émirats arabes unis.
  • fournir le cadre de référence nécessaire pour interpréter les différents niveaux identifiés dans les sondages géoarchéologiques en termes de pratiques agricoles (amendements, fertilisation, problèmes rencontrés, espèces cultivés), mais aussi pour identifier et interpréter les ouvrages hydrauliques antérieurs, visibles au sol ou découverts dans les sondages.

Pour cela, un travail d’identification et de cartographie des structures agricoles (organisation des parcelles, réseau d’irrigation) a été mené sur le terrain, en collaboration avec Gourguen Davtian. En parallèle, des entretiens ethnographiques ont été menés avec les habitants de la palmeraie. Trois entretiens complets ont été réalisés cette année à Shimal, en anglais, et ont fait l’objet d’un enregistrement audio.

Parmi les principaux résultats, il est apparu que les jardins implantés sur les deux cônes alluviaux regroupent des zones agricoles distinctes, chacune alimentée par un wadi précis ou par une de ses branches. L’appellation Shimal correspond en fait à la zone Nord-Est, et est uniquement alimenté par le wadi Haqil. Des données sur les relations entre communautés en amont dans les montagnes et communautés oasiennes en aval viennent également éclairer l’organisation du territoire et la gestion des ressources. Il est également apparu que l’irrigation des parcelles étaient principalement fondée sur les puits, et que la canalisation des eaux de ruissellement était aussi pratiquée pour alimenter la nappe. Enfin, les habitants assurent que la salinisation des sols est apparue suite à la généralisation de  l’utilisation de la pompe motorisée dans les puits.